Exposer une architecture en tant que telle, est-ce possible? L’exposer en tant que « réalisation » à l’échelle 1:1, c’est à dire, réellement, réellement construite, réellement là, appropriable, pénétrable, accessible, abritante, protégeante, au nom de l’architecture, est-ce faisable? Est-ce souhaitable?
a L’exposition menace l’intégrité de l’édifice construit comme seule réalité architecturale.
Issu d’une demande réelle, formé, développé en parallèle aux contraintes rencontrées, l’objet architectural se justifie automatiquement. Il semble être Vrai et Juste. L’architecture en tant qu’objet exposé est vu comme un produit secondaire et superflu. Mais d’où vient cette distinction qui est ici présupposée d’exister? Qui l’a mis en place et quand? N’est-il pas toujours le rôle de l’architecture de déjà s’exposer en tant que telle? Et de se montrer vulnérable, de s’exposer aux regards, d’être fatalement critiquable? D’inclure à son intérieur la possibilité d’un rejet…, de permettre la possibilité d’un contacte par la lecture, l’appropriation pour le meilleur et pour le pire. Car l’appropriation réside dans la possibilité de l’Homme d’avoir un rôle actif dans son contact avec l’objet, de pouvoir en déterminer la signification. Comment expliquer alors la justification sine qua non que cherche à incarner la construction architecturale? L’exposition, ne représente-t-elle pas une menace pour cette intégrité réconfortante, cette immunité que l’architecture s’est offerte.
m En réalité, l’architecte ne construit jamais. Il projette, il représente. La signification architecturale, pour autant qu’elle soit intentionnelle, n’accédera jamais à la réalité construite, et cette dernière sera toujours et fatalement vernaculaire.
Apparemment, la question de la représentation se pose à chaque renaissance. La condition post-moderne n’y échappe pas; la construction se voit distinguée comme unique réalité architecturale possible. Et pourtant, la réitération du classicisme, qui caractérise l’architecture contemporaine, n’est produite que dans l’exploitation du moyen à disposition de l’architecte : le dessin et la maquette. Jamais avant, l’architecte s’est vu aussi distant de la construction. La construction n’est pour lui que pensée, concept: le seul contact qu’il a avec elle est la représentation. C’est sa représentation, son concept de la construction que la construction est sensée suivre. La réalité architecturale, si elle se trouve uniquement dans l’édifice construit, elle y sera donc malgré l’architecte, qui n’a eu aucun contact, aucune possibilité de création à travers elle. Elle y sera en tant que déchet, en marge de tout ce qui a été prévu ou prévisible (si cela est possible de prévoir). Et la signification architecturale, si elle existe en tant qu’intention de l’architecte, ne pourra de ce fait exister que malgré la construction, car ce n’est que dans le moyen représentatif qu’elle est développée (et ce moyen, nous l’avons dit, ne serait pas une réalité architecturale). L’architecture se trouve dès lors dans une impasse, « signifiée » hors-réalité dans le dess(e)in, et « réalité » isolée de son créateur.
c La distinction entre représentation et construction est utopique et parasitaire. La représentation purement soumise et la construction entièrement créative sont inatteignables. Le défaut et le déchet se manifestent toujours, et c’est en eux que naît la possibilité de l’authentique, de la signification.
Cette condition de représentation, est-elle solennelle? Un dessin d’architecture est-il simplement représentatif? Un dessin d’architecture est-il simplement représentatif? Une maquette à l’échelle 1:500 l’est-elle? Une maquette à l’échelle 1:2 l’est-elle moins? Une maquette à l’échelle 1:1 a-t-elle la possibilité de devenir réalité architecturale, pourvu qu’elle soit là, ici, à l’endroit même où aurait dû avoir où aura lieu la construction? Si la possibilité de la représentation conforme à l’échelle 1:1 existe, cette notion même de représentation doit en tout cas nécessairement s’inscrire à l’intérieur de la réalité de l’architecture construite, comme partie intégrante de son identité. Le principe même de l’identification d’une échelle 1:1 à l’intérieur d’un objet contamine l’intégrité de la réalité, la rend toujours partiellement représentative. Peut-on admettre alors que la construction serait détachable de la représentation en tant que réalité architecturale? La représentation, ne devient-elle pas ainsi partie intégrante de la réalité même de l’architecture? En d’autres mots, ne peut-on pas dire que le dessin et la maquette sont nécessairement une réalité architecturale, intermédiaire et décalée par rapport à la construction, l’édifice?
Cette architecture (sa réalité construite) n’est autre qu’un recueil de codes, de déjà-vu, de nos projets antérieurs (et futurs). Elle est leur simple représentation à l’échelle 1:n. Les dessins et maquettes, textes et calculs qui la précèdent ou suivent et qui ornementent ces pages ne sont que sa technicité, l’instruction de sa construction ; ils ne représentent aucune ontention (sans en exclure l’incarnation partielle).
Est-il possible de les exposer hors besoin, sont-ils superflus? Une fois là, devant le visiteur, soumise à la lecture, à la critique, communicant et constituant ainsi la possibilité d’acquérir une signification, l’architecture ne rempli-t-elle pas la condition première d’avoir été utile?
En collaboration avec Pieter Versteegh
Photos de Alain Julliard